Dans les chaussures de l’autre
30/01/2020
Read the article written in French by CEJI Training Coordinator Stéphanie Lecesne about stereotypes, prejudice and discrimination, published in January 2020 in the magazine of CBAI, Centre Bruxellois d’Action Interculturelle.
Comment déconstruire les stéréotypes et représentations ? Ça ne va pas de soi… ![1]
La déconstruction des stéréotypes est un processus complexe. En effet, le stéréotype est un fonctionnement naturel de l’être humain, notre cerveau utilise ce biais pour appréhender le monde. Le nier serait futile et irresponsable. Evidemment peu de personnes aiment s’entendre dire qu’elles ont des stéréotypes. Néanmoins, depuis notre naissance, la connaissance du monde se fait en recourant aux clichés. Les recherches en psychologie et en neurosciences montrent que notre cerveau a une préférence pour les raccourcis face à la complexité. Notre cerveau est donc conditionné pour adhérer aux stéréotypes. Les clichés, les stéréotypes reposent sur un mélange de visions fantaisistes, de rumeurs et, parfois, d’éléments qui se réfèrent à la réalité (histoire, traditions…), mais qui se trouvent déformés, détournés et généralisés. Ce raisonnement de légitimation des stéréotypes est basique et rudimentaire.
Il serait effectivement plus facile de dire : « on a toutes et tous des stéréotypes, on ne peut rien y faire, alors ne faisons rien pour que ça change ! »
Pourtant comment faire pour déconstruire nos stéréotypes ?
Au CEJI (CEJI – Une Contribution Juive pour une Europe Inclusive), nous formons depuis plus de 25 ans des éducateurs au sens large (enseignants, travailleurs sociaux, de jeunesse, médiateurs, animateurs, cadres associatifs, etc.) sur les questions de stéréotypes, de préjugés, d’antisémitisme, d’islamophobie, de racisme, d’homophobie.
D’expérience, nous pouvons dire que les stéréotypes ne sont pas une fatalité ! Il y a bien entendu des ressorts qui rendent notre travail plus ardu comme les frustrations, l’aigreur de la vie, parfois le parcours de vie des participants, l’impression d’être moins bien loti que le voisin, la peur de perdre un mode de vie fantasmé, etc.
Même les stéréotypes « positives » comme « les Chinois sont bons en maths » ou « les Noirs savent danser » enferment les individus faisant parie des ces groupes, ils piègent tout autant que les stéréotypes négatifs des personnes dans une forme d’essentialisation qui est dangereuse.
L’une des clés est la prise de conscience des préjugés. En effet, si nous ne pouvons rien contre les stéréotypes, nous pouvons décider d’être conscients des préjugés qui en découlent. Le préjugé est retors, il personnifie tous les stéréotypes, il confirme « la règle ». Mais quelle règle ? Celle qui veut que chaque génération transmet ses stéréotypes à la suivante, de manière immuable en hiérarchisant des groupes plus ou moins fréquentables, plus ou moins dignes ou acceptables pour le nôtre.
Par exemple, le fameux stéréotype « les Juifs sont riches » se transforme en préjugé quand il y a la rencontre avec un Juif, qui comme par magie, est vu comme l’incarnation des tous les stéréotypes sur les Juifs (cela va pour tous les groupes minoritaires, par exemple, « les Noirs sont fainéants, je rencontre un Noir, j’hésite donc à l’embaucher », « les musulmans sont violents, je rencontre un musulman, je ne me sens pas à l’aise»,…).
Cela pourrait paraître être sans espoir, mais la bonne nouvelle est que les préjugés s’apprennent et peuvent donc se désapprendre ! Les personnes formées repartent souvent avec l’idée que le déni de ces stéréotypes et préjugés maintient le système discriminatoire intact. Par conséquent, nous avons toutes et tous un rôle à jouer. Même si, nous devons l’admettre, la concurrence est dure avec des visions caricaturales, un certain traitement de l’information par les médias, les réseaux sociaux qui jouent leur part dans la stéréotypisation[2].
Les participants semblent déçus quand nous leur disons que nous n’avons pas de baguette magique, de recette toute faite. Cela reflète une peur de mal faire, une crainte d’aborder des sujets sensibles auxquels ils n’ont pas été formés.
Il est crucial de réhabiliter l’empathie, la compassion et la bienveillance, même si ces concepts sont maintenant associés au monde du politiquement correct, à celui des « Bisounours », car sans cela, comment reconnaître la part d’humanité chez l’Autre ?
Le rôle de l’éducation, grâce au développement de l’esprit critique et de la connaissance, est primordial. En se renseignant sur d’autres groupes, leur culture, la situation géopolitique si cela est nécessaire, nous sommes plus aptes à comprendre, à les comprendre. Cela semble évident, mais il est toujours bon d’expliciter l’implicite.
Nous constatons néanmoins sur le terrain, c’est une forme de libération de la parole auprès des groupes que nous formons. Nous devons en tant qu’éducateurs, au sens large, réapprendre la complexité, se la réapproprier afin de ne pas tomber dans les pseudos solutions simplistes. Certains participants expriment leurs inquiétudes sur des sujets sociétaux en glissant vers un discours « nous et eux », qui n’apporte jamais rien de bon en ce sens qu’il accentue les différences et une certaine forme de hiérarchisation. Selon les groupes formés le « eux » peut être les non-Belges, les Belges musulmans, les réfugiés, les Autres. Pour résumer, tout groupe perçu comme exogène à la culture majoritaire.
Evidemment, en tant que formateurs, nous devons entendre cette souffrance, cette difficulté, cette envie de trouver un bouc émissaire capable d’endosser tous les malheurs mais nous devons également utiliser des techniques et des outils pour conduire à une prise de conscience de ces phénomènes et de leur fonctionnement. On peut ainsi espérer modifier les réactions et amorcer un changement dans les habitudes. Les activités permettant de « marchez dans les chaussures de l’autre » sont, par exemple, un excellent outil. Ce concept vient d’un proverbe indien des natifs américains : « Pour comprendre ce qu’une personne vit, tu dois marcher un kilomètre dans ses mocassins ». Ça n’est pas toujours possible mais être attentif aux points communs que partagent les individus ou les groupes en matière d’exclusion peut mener à une compréhension qualitative et empathique de la diversité.
Enfin, une dernière piste est celle du collectif. Le stéréotype est puissant quand il est partagé et non remis en cause par le groupe. Permettre une contestation du stéréotype grâce aux échanges, à l’interaction, permet une inversion de ce que nous tenions comme vérité ultime, et cela s’avère très efficace. Les relations et le contact direct entre des groupes qui, sans une formation ou un projet, ne se seraient jamais rencontrés, sont également susceptibles d’invalider les stéréotypes, d’apporter de la nuance.
Nous devons toujours avoir en tête que les stéréotypes ne sont pas anodins, et que si nous n’y prenons pas garde, ils deviennent des préjugés, qui peuvent devenir des discriminations et aller même jusqu’à des actes de violence.
Chacun doit prendre ses responsabilités pour le présent sans pour autant blâmer ce qui a été fait par le passé. Les individus ne sont pas responsables des préjugés qui les ont influencés dans leur l’enfance mais il est de la responsabilité de chacun de remettre en question la discrimination une fois qu’elle a été définie et reconnue pour ce qu’elle est.
[1] Certains des concepts et des idées repris dans cet article proviennent du manuel « A CLASSROOM OF DIFFERENCETM», programme développé par ADL et adapté par le CEJI pour l’Europe.
[2] Stéréotypisation : Ensemble des processus conduisant à la mise en œuvre des stéréotypes, depuis leur élaboration jusqu’à leurs usages.